RG
Roberto Giacomelli
•Frank Spivey est un policier. Un jour, Frank sauve Jenifer de l’agression d’un homme qui avait l’intention de la tuer. Jenifer est une jeune femme au visage horriblement défiguré et souffrant d’un évident retard mental, mais au corps incroyablement sexy. Constatant que la jeune femme est complètement seule au monde, Frank décide de l’emmener chez lui, ce qui déclenche la colère de sa femme, qui le quitte dès qu’elle se rend compte de l’attachement morbide que la jeune femme développe pour son mari. Resté seul avec Jenifer, Frank se laisse entraîner dans une relation sexuelle ambiguë avec la jeune femme, jusqu’à ce que la véritable nature de Jenifer ne se révèle.
« Masters of Horror » est un projet singulier né de l’esprit de Mick Garris, réalisateur connu dans le domaine de l’horreur, notamment pour ses adaptations des romans de Stephen King. Garris a eu l’idée de réunir les réalisateurs les plus représentatifs du cinéma d’horreur dans un projet destiné à la télévision par câble Showtime et aux vidéos à domicile. Le résultat est « Masters of Horror », une série de 13 moyen-métrages d’une heure chacun, chacun réalisé par un grand nom du cinéma de genre. Chaque épisode a un budget de 1,8 million de dollars, le lieu de tournage fixé dans la ville canadienne de Vancouver, et chaque réalisateur a reçu la plus grande liberté créative. Les noms impliqués dans le projet sont : Don Coscarelli, Tobe Hooper, Dario Argento, Lucky McKee, Stuart Gordon, Joe Dante, John McNaughton, Larry Cohen, Takashi Miike, John Carpenter, William Malone, John Landis et le propre Mick Garris.
Après une parenthèse télévisuelle peu enthousiasmante avec « Aimez-vous Hitchcock ? » et dans l’attente du chapitre final de la saga des trois mères, Dario Argento a pris de courtes vacances pour réaliser un épisode de la première saison de « Masters of Horror » : « Jenifer », que nous avons maladroitement rebaptisé « Instinct assassin ».
Deux choses ressortent immédiatement en regardant « Jenifer » : la qualité indéniable de l’œuvre et le manque total de personnalité de réalisateur que l’on peut y discerner. Le moyen-métrage réalisé par Dario Argento se caractérise par un savoir-faire de produit de série A et, au-delà de quelques défauts désagréables, tels qu’un scénario souvent bancal et un jeu d’acteur pas toujours convaincant, on peut certainement admirer un savoir-faire de réalisation exemplaire et un charme presque morbide qui captive le spectateur du début à la fin. L’histoire, tirée d’une bande dessinée de Bruce Jones, est suffisamment originale et controversée pour représenter un rare exemple de produit télévisuel « borderline » ; le mélange d’érotisme et d’horreur est mené avec une excellente et mesurée concession à ces deux aspects, sans jamais tomber dans le vulgaire ou le maniérisme de l’épouvante facile. Il est regrettable de trouver ici et là des trous dans le scénario, probablement dus aux courts délais de narration disponibles (« Jenifer » aurait pu être facilement un long métrage), et quelques dialogues pas toujours à la hauteur ; de même, le choix de Steven Weber (également l’auteur du scénario) comme protagoniste ne semble pas tout à fait judicieux, étant pour la plupart monoexpressif, tandis que le choix d’attribuer le rôle inconfortable de Jenifer aux courbes de Carrie Fleming semble excellent, une jeune femme aussi belle (du cou vers le bas) et capable d’inspirer une grande empathie, qu’horrible (du cou vers le haut) et inexplicablement cruelle. La relation qui se crée entre Frank et Jenifer atteint des sommets de surréalisme comportemental exemplaires, difficilement compréhensibles si l’on les explore avec la logique et le raisonnement du matérialisme humain, et ne pouvant être justifiées que si l’on cherche à regarder au-delà de la morale commune, que si l’on est physiquement aveugle et que l’on cherche à explorer le monde en se laissant guider par un sentiment ambigu de compassion mêlé aux pulsions sexuelles primaires.
Le maquillage qui recouvre le visage de Jenifer est également très percutant, la faisant apparaître comme un être répugnant et pestilentiel, œuvre du travail de l’équipe de Berger et Nicotero, désormais une véritable garantie ; de même, les nombreuses scènes de gore qui accompagnent, de temps en temps, les actions de la jeune femme sont de bon niveau.
Comme on l’a mentionné, ce qui déconcerte un peu, c’est le manque total de la touche argentienne ; dans un projet comme « Masters of Horror », où les auteurs ont reçu toute liberté d’expression (du moins c’est ce qu’on nous a dit), on s’attendait de « Jenifer » à une œuvre qui reflète pleinement le style si cher à presque toute la filmographie argentienne, caractérisée notamment par une particulière envergure visuelle et par un usage des cadrages souvent avant-gardiste ; au lieu de cela, le résultat technique est plutôt anonyme et si ce n’était pour les berceuses qui agrémentent la bande sonore signée Claudio Simonetti, on aurait vraiment du mal à croire que Dario Argento se cache derrière la caméra.
Malgré quelques choix critiquables, « Jenifer » reste l’un des épisodes réussis de la première série de « Masters of Horror » ; peu argentien, mais certainement l’un des travaux les plus réussis du réalisateur romain ces dernières années.