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Roberto Giacomelli
•Une série de fulgurants éclairs annonce le réveil de certaines gigantesques machines extraterrestres qui commencent à semer la panique parmi les humains. L'ouvrier Ray Ferrier tentera d'échapper aux intentions hostiles des envahisseurs et de sauver ses deux enfants que son ex-femme lui avait confiés pour le week-end.
"La guerre des mondes" est l'un des titres les plus célèbres de l'histoire de la science-fiction, mais pas seulement cinématographique. En 1898, H.G. Wells a écrit un court roman qui est devenu un grand succès et est encore aujourd'hui reconnu comme un classique; le titre du roman était justement "La guerre des mondes". Mais le succès public et la réputation de classique ont été augmentés par un épisode curieux entré dans l'histoire des communications de masse comme exemple parfait de la manière dont les médias peuvent influencer la conscience du public. C'était en 1938 et un jeune Orson Welles animait l'émission radiophonique "Mercury theatre on air"; le 30 octobre, Welles a décidé de lire "La guerre des mondes" en direct, le narrant comme s'il s'agissait d'un journal radiophonique. Le résultat fut que de nombreux auditeurs crurent que les Martiens avaient réellement attaqué les États-Unis et dans une petite ville du New Jersey (lieu que Welles avait décrit comme le théâtre de l'événement) une panique de masse s'est même déclenchée.
"La guerre des mondes" est apparu au cinéma pour la première fois en 1953 dans le long métrage éponyme réalisé par Byron Haskin. Le film a été un très grand succès public et a été l'un des films de science-fiction les plus valables des années 1950, remportant même un Oscar inattendu pour les effets spéciaux. En 2005, avec l'intention d'évoquer et d'exorciser les fantômes du 11 septembre, Steven Spielberg tente la carte du remake et nous voilà face à un nouveau "La guerre des mondes". En réalité, Spielberg a réalisé quelque chose de plus qu'un simple remake, il a complètement réinventé une histoire déjà connue, lui donnant une nouvelle profondeur et un nouveau sens, ainsi que le réalisme inquiétant que seuls les effets spéciaux modernes peuvent conférer. D'abord, Spielberg s'éloigne considérablement du genre original auquel "La guerre des mondes" appartient et contamine ainsi la science-fiction classique avec le cinéma catastrophe moderne et les suggestions plus typiques de l'horreur. "La guerre des mondes" peut donc être considérée pour de nombreuses raisons comme appartenant également au genre horreur, devenant à certains moments réellement inquiétant, comme dans la très réussie scène du bateau ou la longue séquence dans la cave. Des éléments de terreur désespérée et de pessimisme émergent de la macabre scène des corps dans la rivière ou du train apocalyptique en flammes qui traverse le passage à niveau.
Bien sûr, "La guerre des mondes" est essentiellement un film de Spielberg et bien qu'il appartienne au Spielberg "adulte", on peut y lire un bonisme inné, souligné par ailleurs par une morale moralisatrice pas très efficace (arrivée directement du roman). Le thème le plus cher à Spielberg, à savoir la famille, est également présent ici et est expliqué à travers la situation familiale désastreuse de Ray, interprété par un convaincant Tom Cruise. Ray Ferrier est un ouvrier avec un mariage raté derrière lui et deux enfants. Son ex-femme (interprétée par Miranda Otto) s'est remariée et amène périodiquement ses enfants chez Ray, comme décidé par le tribunal. Mais Ray a une relation difficile avec ses enfants, surtout avec l'aîné, un adolescent qui considère son père comme un raté. Ainsi, Spielberg nous présente une famille brisée, un peu éloignée de son optique habituelle de famille heureuse incarnant la réalisation du rêve américain, bien que, comme le veut la tradition classique, l'horreur et la situation de danger resserreront, au moins en partie, les relations familiales.
Si les personnages du nouveau "La guerre des mondes" ont été complètement réécrits par rapport à l'ancienne version et que le ton semble nettement plus adulte et moins "pop" par rapport au passé, le but de base peut sembler néanmoins similaire. Essentiellement, les deux films se valent en tant que métaphore de la xénophobie galopante. Dans le film de Haskin, l'invasion extraterrestre, qui commence justement aux États-Unis, a été lue comme une métaphore de la peur d'une victoire communiste pendant la Guerre froide (d'ailleurs, les extraterrestres viennent de Mars, la planète rouge, couleur symbole du communisme). La même lecture, souvent abusée, était attribuable à une bonne partie des films de science-fiction produits à cette époque et il semble que cette tendance "politico-sociale" soit revenue ponctuellement suite à l'intervention américaine au Moyen-Orient et aux attentats terroristes contre l'Occident. Dans "La guerre des mondes" version 2005, l'horreur véritable émerge justement de la catastrophe, de la destruction que l'invasion extraterrestre cause à l'homme et à son territoire. Dans une scène significative, la petite Dakota Fanning, qui interprète la fille de Ray-Cruise, terrorisée, demande à son père s'ils sont au milieu d'une attaque terroriste.
Au-delà de toute lecture sociologique, "La guerre des mondes" de Spielberg est néanmoins un excellent film de divertissement, suffisamment émouvant et adrénergique. Excellente réalisation, excellents interprètes et excellents effets spéciaux. Peut-être que l'apparence des extraterrestres déçoit légèrement, trop peu inquiétante dans leur aspect physique, surtout si on les compare à leurs extensions mécaniques, les tripodes (mais l'apparence des Martiens du film de Haskin est aussi décevante), mais le choix de les rendre une sorte de vampires est sûrement bien trouvé.
Grand spectacle et élément fondamental dans la tendance retrouvée à la contamination du cinéma fantastique avec les peurs contemporaines de la société: "La guerre des mondes" est un film remarquable et, bien qu'éloigné de la perfection, mérite plus d'une vision.