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Alessandro Carrara
•Nouvelle-Angleterre, fin du XIXe siècle : une petite communauté rurale vit dans une vallée ensoleillée entourée des montagnes des Appalaches et complètement isolée du reste du monde. Cette situation est déterminée par la présence dans les forêts entourant la vallée d'êtres non humains, appelés "les créatures innommables" par les anciens du village, dont les membres les plus importants sont Edward Walker (William Hurt) et Alice (Sigourney Weaver). Il leur incombe la tâche d'administrer le village, étant également les gardiens de la "trêve" conclue il y a longtemps entre les humains et ces créatures pour vivre en paix en partageant le territoire. Les règles de coexistence pour les humains sont au nombre de trois :
1) Ne pas se rendre dans la forêt (territoire des créatures) ;
2) Cacher la "couleur interdite" qui attire les créatures (le rouge, jamais mentionné dans le film) ;
3) Au son de la cloche, tous doivent entrer dans la maison et se barricader.
Une espèce de frontière délimite les deux territoires, marquée par des drapeaux rouges et jaunes (couleur réservée aux humains) avec une terre de personne au milieu, surveillée en continu par une tour avec une cloche pour signaler une éventuelle intrusion des créatures dans la vallée, une éventualité qui se produit très rarement puisque l'accord a tenu jusqu'à présent sans problème, et certains jeunes jouent même à provoquer la réaction des créatures à la frontière…
Un jour, un événement trouble l'apparente tranquillité de la vallée : certains animaux domestiques sont trouvés écorchés. Peut-être que le pacte de non-agression entre humains et créatures innommables a été rompu ?
C'est l'intrigue de départ du dernier film de M. Night Shyamalan, connu surtout pour le précédent "Sixième Sens", grand succès qui l'a rendu célèbre auprès du public. Ce film est probablement supérieur au précédent, bien qu'il n'ait pas réalisé les mêmes recettes au box-office. Le jeune (né le 6 août 1970) et prometteur réalisateur indien mais transplanté dans la ville de l'amour fraternel (Philadelphie) a obtenu pour cette dernière œuvre, outre la réalisation, les crédits du scénario et donc le film a été justement présenté aux États-Unis comme "M. Night Shyamalan's The Village".
Certes, le film se présente comme un film d'horreur (comme on peut le deviner dès le début de l'intrigue rapportée ici) mais les dernières minutes du film réservent de grosses surprises pour le spectateur, révélant quelque chose de très différent, presque un long métrage "politique" comme il a été interprété par plus d'un : une sorte de métaphore de la société américaine proie de ses peurs concernant ce qui l'entoure dans le reste du monde…
Sans chercher trop de références à la situation géopolitique mondiale, on peut dire que le film aborde des thèmes chers à Shyamalan : qu'est-ce que la peur ? Si on ne la nomme pas, la supprime-t-on ? Peut-on coexister avec elle comme si de rien n'était en se réfugiant dans un monde "privé" où tout semble parfait et où tout le monde semble heureux ? Ces questions sont liées à la présence, dans la maison de chaque Ancien, d'une boîte noire fermée à clé qui ne doit jamais être ouverte : un secret d'un passé qui doit rester caché mais qui est suspendu comme une épée de Damoclès sur l'apparente tranquillité de chaque jour (en effet, ces boîtes ont un "endroit d'honneur" dans les habitations des Anciens). C'est justement l'ouverture de ces boîtes qui fournira au spectateur la solution inattendue de l'histoire, révélant la vérité longtemps cachée par les Anciens aux jeunes du village pour les préserver du mal…
Mention spéciale au design des Créatures Innommables, extrêmement approprié et de "conte noir", tout comme le choix de les cadrer toujours en plan large légèrement floues avec les humains en premier plan (au moins jusqu'à la fin quand leur vraie nature est révélée…).
Digne de mention est aussi la solution du "double finale" mise en place par Shyamalan : lorsque l'histoire semble s'être éclaircie, l'apparition soudaine de la Créature enveloppée de rouge offre au spectateur un pic de tension inattendu. Certes, ce choix, comme d'autres, confirme le grand talent de Shaymalan pour la réalisation, déjà apprécié dans d'autres de ses précédents travaux.
Concernant l'interprétation, excellents comme toujours les "vétérans" Weaver et Hurt, mais les acteurs semi-inconnus interprètes des "jeunes" ne sont pas en reste, dont la fille aveugle de Walker, Ivy (Bryce Dallas Howard, fille du célèbre réalisateur Ron Howard, ex-star de "Happy Days"), véritable protagoniste du film qui entreprend un voyage symbolique visant à affronter le cœur de ses propres peurs.
En conclusion, "The Village" est certainement l'une des meilleures offres cinématographiques de la saison 2004, indubitablement, il mérite les sous dépensés pour le cinéma et probablement aussi ceux pour le DVD à paraître (s'il possède les bons extras… même pour comprendre du commentaire du réalisateur si les lectures politiques du film sont fondées ou non).