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Alessio Gradogna
•Hans Beckert est un tueur en série qui terrorise une population entière. Il enlève des fillettes de 7 à 8 ans, les amadoue en leur offrant des bonbons et des ballons, et les tue en sifflotant un air joyeux. La ville est en panique, des affiches sont placardées et de riches primes sont promises pour sa capture, mais tout le monde est dans le noir, surtout la police, qui perd son temps en conjectures inutiles sans en tirer rien. À ce stade, entrent en scène les malfrats de la ville, furieux du fait que Beckert ruine leur réputation et usurpe leur territoire. Ils le cherchent, le reconnaissent, le traquent, et quand ils arrivent à l'attraper, ils le soumettent à un véritable procès. L'un des plus grands chefs-d'œuvre de l'histoire du cinéma. Le premier film sonore de Fritz Lang, écrit en collaboration avec sa femme Thea Von Harbour, qui constitue le plus éclatant et concret exemple de tueur en série apparu sur grand écran (un thème que Lang avait d'ailleurs déjà traité avec le Dr. Mabuse). Un film inquiétant et mystérieux, joué sur les mères qui attendent en vain le retour de leurs petites filles en réalité enlevées et tuées par le maniaque (un parfait Peter Lorre), sur l'air tiré de Peer Gynt (siffloté par Lang lui-même parce que Lorre n'en était pas capable) qui annonce la présence sinistre du monstre, sur l'ombre de son visage projetée en contre-jour sur les murs, et surtout sur la confrontation entre l'inutilité pratique de la police, engagée dans des réunions interminables situées dans des bureaux couverts en permanence par la fumée des cigares mais inefficace dans l'accomplissement de sa tâche, et l'orgueil d'une population de délinquants jaloux de leur rôle et de leur appartenance à une grande famille dont Beckert est au contraire inexorablement exclu. Un film plein d'images légendaires (la table vide dans la première séquence splendide, qui marque indirectement la mort de la petite Elsie, et son ballon abandonné sur les câbles électriques. Le montage parallèle où la police et les malfrats tracent les plans pour capturer le monstre, les plans d'une ville sordide et glaciale dans sa désolation), et avec une partie finale, le procès, entrée justement dans l'histoire, où un Lorre effrayé et terrorisé offre la meilleure performance de sa carrière. Lang se range ouvertement contre les institutions (comme dans Metropolis), maîtrise à la perfection la mise en scène, et nous ne pouvons que ressentir de la pitié pour un monstre qui tue poussé par l'instinct et non par la préméditation, et qui peut-être n'est pas tant un monstre que ça.