RG
Roberto Giacomelli
•France, XVIIIe siècle. Jean Baptiste Grenouille est un garçon né avec des facultés olfactives extraordinaires, capable de percevoir chaque odeur, même celles imperceptibles pour le nez humain. Jean Baptiste, devenu orphelin à la naissance, grandit dans un orphelinat, mais à peine adolescent, il est vendu comme esclave dans une tannerie. À cette époque, le garçon fait la connaissance de Giuseppe Baldini, un parfumeur italien qui lui apprend à créer des parfums et lui révèle les techniques pour capturer l'odeur des choses, mais insatisfait, Jean Baptiste se rend dans la ville voisine de Grasse pour apprendre la technique du défleurage ; pourtant, obsédé par la création de l'odeur parfaite et sublime, le garçon commence à tuer de jeunes femmes pour ensuite traiter leurs cadavres et extraire leur parfum.
Tom Tykwer avait déjà démontré qu'il était un bon réalisateur aux qualités assez originales dès son très particulier "Lola rennt", qui en 1998 l'a porté à l'attention du public ; mais maintenant avec "Parfum", il tente l'impossible : porter à l'écran le roman de Patrick Suskind, un écrit qui base toute sa force et son originalité sur la description des sensations olfactives ; une entreprise à laquelle Stanley Kubrick lui-même avait jeté une idée, puis jamais réalisée !
Pouvait sembler peut-être une folie de faire un film crédible et stimulant sur une histoire olfactive, à moins que les salles de cinéma ne soient équipées d'une technologie capable de reproduire les odeurs au public. Eh bien, Tykwer a réussi à transformer ce best-seller en un film digne de son parent cartonné, un film qui suit la route la plus simple pour la description des odeurs, à savoir le simple sous-entendre des odeurs. Le protagoniste du film est tourmenté par l'odeur d'une jeune femme, il la rêve même, renifle, manipule des essences et des huiles essentielles, mais nous ne pouvons faire autre chose que d'admirer ses exploits et d'observer, de temps en temps, le dilatement et le rétrécissement de ses narines, imaginant l'essence parfumée qui est disséquée des corps blancs et gras des jeunes et nues donzelles mortes dont Jean Baptiste s'entoure. Tout cela peut sembler banal, mais ça fonctionne à merveille !
La route empruntée par Tykwer est pourtant très éloignée des canons habituels du thriller et cela est évident dès les premières images du film, dans lesquelles nous assistons à la naissance de Jean Baptiste : une scène désagréable et visuellement très puissante qui montre la venue au monde de l'enfant dans un marché de quartier sordide, dans un triomphe de splatter et de saleté malodorante qui sert d'entrée aux facultés de l'enfant, comme s'il s'agissait de la naissance d'un super-héros des comics Marvel. Le film continue à mi-chemin entre le drame et la comédie grotesque, pour plonger ensuite dans le thriller horrifique avec la chasse aux donzelles odorantes et se terminant par un épilogue surréaliste et excessivement grotesque, limite onirique. Se soumettre à la vision de "Parfum" signifie donc assister à plusieurs films différents cousus ensemble par un seul fil narratif ; c'est une expérience tout à fait singulière qui laisse au spectateur un sentiment de profonde et complice satisfaction.
Si analysé sous un aspect plus purement technique, "Parfum" en sort quand même vainqueur. Coûtant des millions et des millions d'euros, cette coproduction franco-allemande exploite une reconstruction scénographique somptueuse et réaliste et des scènes de masse (l'orgie finale) d'un très grand impact visuel. Beaucoup dépend aussi de la réalisation virtuose de Tykwer qui réussit à créer des mouvements de caméra originaux et techniquement irréprochables avec des travellings et des plans-séquences de grande suggestion ; non moins est la photographie de Frank Griebe, capable de rester crédible et à certains égards inquiétante tant dans les scènes les plus sombres que dans celles à la lumière du soleil. Un bon travail est également fait par le casting, dans lequel se distingue le protagoniste Ben Whishaw ("Le marchand de Venise" ; "The pusher"), qui apparaît à certains moments déconcerté, complètement dominé par sa faculté, à certains moments immergé dans une folie lucide qui se transforme en un désir d'omnipotence ; excellent, comme toujours, Dustin Hoffman dans le rôle du sympathique et hautain parfumeur Baldini.
Si nous voulons critiquer le film, ce qui est également visible dans le roman, c'est l'excès grotesque qui imprègne toute la fin, si surréaliste et pompé, non seulement ironique, mais aussi éloigné du ton général de l'œuvre.
"Parfum" est donc un film à voir absolument, mais avec la conscience de s'aventurer dans un univers de bizarreries et de styles différents ; il y a peu ou pas d'horreur, mais le film se laisse certainement apprécier aussi par les fans du cinéma d'horreur pour la copieuse dose de macabre érotisme nécrophile et quelques éclaboussures de splatter grotesque.
C'est un devoir de donner un demi-point de plus !